L'exposition "Arabofuturs : science-fiction et nouveaux imaginaires" présentée à l'Institut du monde arabe et prolongée jusqu'à la mi-janvier 2025 en est la preuve institutionnalisée : la science-fiction et le fantastique sont des thématiques qui s'imposent de plus en plus dans la réalité de la production artistique et cinématographique des pays arabes.
Alors que l'exposition de l'IMA s'intéresse principalement aux installations vidéos et aux oeuvres plastiques qui questionnent la science-fiction, dans des formes de dystopies ou de mondes parallèles, le cinéma, depuis quelques années, nous habitue de plus en plus à des univers où le fantastique s'impose dans un récit aux couleurs parfois tout à fait naturalistes ou répondant à d'autres codes cinématographiques, comme le road-movie ou le drame social. Cette rencontre entre les genres, le dépassement du film à thèse et la remise en question de l'ordre social contemporain à travers différentes approches au fantastique et à la science-fiction est au coeur de cette proposition de programmation.
Pionnière du genre, l'artiste vidéaste Larissa Sansour a toujours été à l'avant-garde de ce recours à la science-fiction "arabe", qu'elle a conduite dès la fin des années 2000 à partir d'une réflexion sur la situation de l'État palestinien et en essayant d'imaginer un futur à la Palestine : à partir de 2009 avec A Space Exodus, elle lance une série de trois films regardant l'avenir de la Palestine sous l'angle de la dystopie et du désastre apocalyptique. Nation Estate, présenté en ouverture de cette séance, en fait partie : il interroge la muséalisation et la rationnalisation de la cause et de la réalité culturelle et symbolique de la Palestine en un espace futuristique déshumanisé.
Le travail de Larissa Sansour arive très tôt dans ce choix du genre de la SF comm outils critique d'une situation politique. Le recours au genre dans les productions cinématographiques des pays arabes - qu'il s'agisse de la SF ou d'autres genre, comme le film policier, le film d'horreur, ou le film fantastique - émerge aujourd'hui avec le travail d'une nouvelle génération d'artiste qui décide de jouer avec les codes malgré des budgets de production très restreints. Suivant les histoires sociétales et culturelles, c'est la SF ou le fantastique qui prend le dessus : la question de l'hypermodernisation est posée particulièrement dans le Golfe, ce dont témoigne le court-métrage Border de Khalifa Al-Thani qui, dans un film tourné après la crise du Covid-19, met en lumière la quesiton de la frontière en insistant sur l'hypermodernisation des techniques de surveillance et de l'hypercontrôle des populations.
Le reste de la programmation puise davantage dans les codes du fantastique. Comme évoqué plus haut, c'est une pratique exploitée depuis quelques années de façon de plus en plus fréquente : le surnaturel devient un enjeu du récit, comme dans le dernier film de Mehdi Ben Attia Par-delà les montagnes (Tunisie, 2024) qui met en scène un père de famille dévasté par la vie et capable de défier la gravité et de voler, bouleversant ainsi toutes les logiques classiques du drame narré par le film. Les éléments fantastiques s'inscrivent aussi souvent dans un viver de croyances ou de traditions locales : Animalia de Sofia Alaoui (Maroc, 2023) se réfère aux djinns, qui sont aussi une références sous-jacente de Reines de Yasmine Benkiran (Maroc, 2022). Ces références ont un poids plus ou moins fort dans le récit, mais ont systématiquement le mérite d'ancrer le film - et le genre - dans une réalité territoriale qui les détache des codes classiques du genre portés par le cinéma hollywoodien. Le recours aux éléments surnaturels permettent aussi de questionner des histoires politiques fortes, et faire revenir des fantômes du passé pour mettre en lumière un événement traumatique de l'histoire : c'est ce que fait Dania Reymond-Boughenou dans Les Tempêtes (France, 2024), et c'est dans cette ligne que s'inscrivent les autres films de cette séance de courts-métrages.
Film-Ovni, mais qui imposera peut-être de nouveaux usages du genre, Mawtini de Tabaak-Allah Abbas a recours à l'animé japonais pour raconter l'histoire de ses parents, qui ont quitté l'Irak en 1991 au moment de la première guerre du Golfe.
Une autre forme de jeu narratif exploré dans les films est celui des mondes parallèles, du passé qui s'impose dans le présent pour rappeler l'histoire et venger les mors. Leila et les fantômes de Chiraz Chouchane et Daw de Samir Ramdani construisent leur critique sociale sur le surgissement des fantômes du passsé, qui permet de questionner la mémoire coloniale et de dénoncer l'actualité d'une violence postcoloniale. Les films jouent sur les codes : dans Daw, les figures d'autorité sont à rebours des clichés : on est en France, mais les représentants de l'ordre parlent Algériens et tentent eux aussi par leur enquête, à dévoirler cette mémoire traumatique du massacre du 17 octobre 1961.
Ces films sont tous remarquables cinématographiquement dans leur exploration du travail sonore et de lumière : films à petit budgets, ils parviennent en convoquant des codes bien connus à générer une identification facile pour des spectateurs cinéphiles et à parler de sujets très politiques par le biais de narrations simples, parfois complètement fantasques, qui permettent une critique et l'ouverture d'un débat sur l'avenir du monde et des communauté arabes en France.
L'association Étonnant cinéma a rencontré deux réalisatrices de deux films de cette sélection, Chiraz Chouchane pour Leila et les fantômes et Tabarak-Allah Abbas pour Mawtini, ainsi que le chef opérateur et la cheffe déco du film Daw de Samir Ramdani.
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