14e édition du FFFA : La Tunisie à l'honneur
Le Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec s’intéresse aux images d’une région en proie à une violence infinie qui entrave le mouvement des individus, tant dans leurs déplacements au sens strict que dans leurs gestes de création ou de solidarité. Devant une actualité asphyxiante, saturée par les bombes israéliennes qui tombent sur Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie, le Yémen, l’Iran, le Qatar, mais aussi par la crise humanitaire sans précédent qui a déplacé plus de 13 millions de personnes au Soudan, la fragilité persistante de la situation politique en Syrie, la crise sanitaire qui ravage le Yémen en proie à une violente épidémie de choléra, l’autoritarisme politique qui musèle l’opposition en Égypte, en Algérie, en Tunisie, au Maroc notamment, les perspectives d’avenir sont sombres. Le génocide en cours à Gaza, où les populations constamment attaquées et déplacées meurent de faim, cristallise de nombreuses tensions : alors que les États arabes condamnent les multiples formes de la violence israélienne sans agir, les mêmes régimes refusent généralement à leur peuple le droit de manifester leur solidarité avec les Palestinien.ne.s contre le colonialisme et la déshumanisation dont iels sont victimes.
Cette tragique ambivalence est transnationale, et la Tunisie, à laquelle nous consacrons le focus de cette année, n’est pas en reste. Le soutien populaire - massif, structuré et indéfectible - se heurte à une diplomatie officielle qui oscille entre principes de solidarité envers le peuple palestinien et pragmatisme diplomatique vis-à-vis d’Israël. L’histoire de la Tunisie est pourtant liée de longue date à celle de la résistance des Palestinien.ne.s : terre d’accueil de la direction de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en exil à partir de 1982, elle a souffert en 1985 le raid d’Hammam Chott par Israël, faisant ainsi partie de la cartographie de la mémoire des attaques israéliennes. Cette mémoire, vive parmi le peuple, a poussé à une mobilisation massive et la Tunisie est devenue un écran de projection en solidarité à la Palestine, un lieu où l’on pense et où l’on montre un cinéma engagé pour éduquer sur la question et s’indigner ensemble.
Car oui, les films sont un outil pour notre humanité. Touchant au plus sensible de nos émotions, le cinéma mobilise notre empathie et engage notre réflexion. Les films de cette programmation accompagnent ce mouvement des cinéastes tunisiens de croyance en l’image comme forme de résistance contre la simplification et la banalisation des horreurs du monde. Grâce à ce focus, nous verrons leurs films, documentaires et de fiction, qui résonneront avec les autres films qui, du Maroc à l’Arabie Saoudite, nous demandent de déconstruire nos clichés. Nous verrons la Palestine. Nous nous attarderons sur l’histoire de grandes figures militantes juives des luttes de libération nationales au Maroc et en Algérie. La question soudanaise sera aussi abordée à plusieurs reprises, pour éclairer le bouleversement politique de ces dernières années. Nous découvrirons ensemble également des images de la Syrie, avant et après la chute du régime de Bachar al Assad le 8 décembre 2024. La question des diasporas sera comme toujours évoquée, et plusieurs fictions, notamment égyptiennes, seront là pour tenter de nous évader de cette sordide actualité.
Nous sommes heureux·ses de pouvoir mettre en avant une majorité de films inédits, qui ne bénéficieront pas d’une distribution dans les salles françaises, mais aussi de faire la part belle aux avant-premières de films portés par des boîtes de distributions engagées et audacieuses, qui ont choisi de soutenir des cinéastes et des récits qui ne bénéficient pas toujours de la visibilité offerte par les grands festivals européens. Nous voulons que ce festival participe à compléter un panorama de productions cinématographiques des pays arabes et en diaspora qui s’impose de plus en plus sur nos écrans par la force de sa singularité et la diversité de ses propositions.
Le programme se déploiera au Trianon et dans les équipements culturels de Noisy-le-Sec, mais aussi à l’Institut des Cultures d’Islam et les cinémas d’Est Ensemble.
Le cinéma tunisien : de l’exil à la révolution et à la diaspora
Depuis ses origines, à la fin du protectorat français, le cinéma tunisien interroge les tensions entre histoire collective et subjectivité. Dès 1975, Naceur Ktari avec Les Ambassadeurs documente l’expérience des immigrés tunisiens en France, explorant l’exil et les fractures sociales, et affirmant que filmer, c’est déjà résister.
Et il n’est pas le seul à défendre cette idée. Après 2011, la Révolution libère la parole. Hind Meddeb (Tunisia Clash, 2015) capte l’énergie contestataire des jeunes rappeurs, figures d’une jeunesse en quête de visibilité et de liberté. Ailleurs, le cinéma tunisien explore diaspora et enfance exilée : Kaouther Ben Hania (Zeinab n’aime pas la neige, 2016) suit Zeineb entre Tunisie et Canada, tandis que Maja-Ajmia Yde Zellama (Têtes Brûlées, 2025) explore le deuil et la résilience d’Eya, jeune fille diasporique, révélant les tensions entre identité et appartenance.
Khedija Lemkecher avec Belles de Nuit (2024) et Alaeddine Slim avec Agora (2024) interrogent quant à eux le rapport entre réalité et représentation. Lemkecher mêle réalisme social et onirisme pour questionner les désirs et les contraintes des jeunes de quartiers populaires, tandis que Slim expérimente la temporalité et la mémoire collective, transformant l’image en espace critique et poétique. Cette conjugaison est aussi visible dans les œuvres de jeunes tunisiens, qui créent leur propre onirisme hors de la capitale ; nous en découvrirons trois, Jalel Faizi, Mohamed Rachdi et Mourad Ben Ammor.
Ces œuvres traduisent la vitalité du cinéma tunisien contemporain, sa capacité à interroger l’exil, la jeunesse, la mémoire et les marges, tout en inventant de nouvelles formes narratives.
FOCUS MARRAINE : HIND MEDDEB
Hind Meddeb porte en elle l’héritage d’un père poète, Abdelwahab, et d’une mère linguiste, Amina : un amour des mots et une exigence de vérité. Mais son terrain est la rue, la jeunesse insurgée, les marges où l’Histoire s’écrit à voix haute. Depuis ses premiers films, elle fait du cinéma un espace de résistance : Electro Chaâbi explore la révolution musicale des faubourgs du Caire, Tunisia Clash suit des rappeurs tunisiens défiant la censure, Soudan, souviens-toi recueille la mémoire des jeunes révolutionnaires soudanais. Trois œuvres que notre festival met à l’honneur, avec un focus sur la Tunisie, pays d’origine d’une partie de son histoire et de son cinéma. Hind filme avec empathie et rage, convaincue que l’art peut être un cri collectif. Son regard est politique parce qu’il est intime : il épouse la poésie des luttes, écoute les corps et les silences. Cinéaste-journaliste-militante, elle ne documente pas seulement le réel, elle l’accompagne, le ravive, le transmet.aff_the_image_of_ants.png
Directrice artistique du festival
